Depuis le début de l’année 2025, à Tachkent et dans d’autres villes ouzbèkes, se déroulent de nombreux évènements inédits appelés « Swap ». Durant ces soirées, les participants et les invités échangent des vêtements, dans un cadre animé par des concerts d’artistes locaux et des sons de DJ sets. Des ateliers, des rencontres et des séances de tatouages viennent ponctuer les échanges d’habits et d’accessoires.
L’idée d’échanger des vêtements en Ouzbékistan n’est pas nouvelle : les boutiques de seconde main et les « Swap », soirées animées où sont échangés des vêtements, supplantent les traditionnels marchés aux puces. Un interview du média ouzbek Hook Report auprès de Gocha et Malik nous raconte l’histoire de « Swap-Tachkent« .
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Les débuts d’un concept innovant
Gocha : Swap est arrivé sur un coup de tête. Avec Malik, nous nous échangions des vêtements en permanence, en provenance de Yangiabad et d’autres endroits où nous trouvions des vêtements recyclés.
À un moment donné, j’ai eu l’idée de créer un chat privé où nous pouvions échanger des vêtements entre nous et avec d’autres personnes. J’en ai parlé à Malik et un jour j’ai lu son post « Swap, un chat pour tous, rejoignez-nous ! » et honnêtement j’ai été un peu déçu parce que je pensais que ce serait un chat privé [rires]. Finalement, ça s’est transformé en un grand canal d’information qui a donné la possibilité à beaucoup de personnes de pouvoir participer.
Malik : Voilà comment l’idée de Swap a émergé. Mais en réalité, le projet s’est concrétisé plus tard, lorsque Irina, une de mes connaissances qui travaillait à Barduck, un bar à concerts branché dans la capitale, m’a écrit pour me dire qu’elle trouvait adorait le concept. Elle avait déjà vu des soirées similaires à Moscou, dans lesquelles les gens pouvaient faire la fête, et elle proposait de développer le même concept à Tachkent.
J’ai pensé que ce serait plutôt innovant de l’exporter en Ouzbékistan, en y ajoutant une touche personnelle. Nous avons donc organisé notre première soirée Swap au Barduck en janvier 2025. À l’époque, il n’y avait que 120 personnes dans le groupe, dont 30 actives.
Un succès immédiat
Malik : Au-delà des habitués, nos évènements ont commencé à accueillir plus de 80 participants. Timur Timtempo, du centre culturel « Plovistan » nous a beaucoup aidés en nous donnant des pendants, indispensables pour exposer les vêtements. Nous avions beaucoup de vêtements : trois pendants entiers et quelques chariots supplémentaires achetés dans l’un des magasins de la fameuse chaîne de supermarchés Korzinka.
Un tiers des invités étaient des personnes que nous ne connaissions pas. Ils avaient simplement vu l’affiche et avaient décidé de venir, grâce au bouche-à-oreille notamment. À ce moment-là, nous n’avions pas de financement et c’est moi qui assurais toutes les dépenses. Quatre mois plus tard, nous avons trouvé un partenaire financier.
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Gocha : À l’occasion de la deuxième soirée Swap, Malik m’a invité à rejoindre l’évènement, j’ai créé le logo et l’affiche, puis tout était sur les rails.
Un projet aux contours bien définis
Gocha : au départ, nous voulions faire quelque chose d’intimiste et faire venir nos connaissances et amis pour qu’ils puissent se reproduire sur scène. Lors de la dernière soirée en date à Tashkent, à la galerie Human House, espace culturel de promotion de l’artisanat local, nous avons pu organiser tout ce que nous souhaitions : un DJ set d’Amalia, un atelier créatif avec Mastura Khamro.
Malik : J’essaie d’inviter des personnes qui ne sont pas toujours visibles dans notre communauté. Il y a par exemple notre photographe Maria, dont nous apprécions beaucoup le travail, car elle capture de manière fidèle l’essence de notre concept. Il y a aussi Elina, une artiste que j’ai découvert par hasard sur Instagram. Nous les sponsorisons toutes les deux et nous essayons de mettre en valeur leur travail dans des lieux conviviaux.
Gocha : Consacrer un budget dédié à la promotion des artistes locaux fait partie de notre feuille de route. L’un des piliers de notre travail est de dissuader les consommateurs d’acheter dans des grandes surfaces en prise avec la fast fashion.
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Gocha : Lors du dernier échange, nous avons prêté un pendant entier à David qui fabrique des vêtements personnalisés à partir de matériaux recyclés et qui est encore peu connu.
Malik : J’aime voir venir les gens, les voir apprendre à se connaître ou se retrouver lors des soirées Swap. Je vois qu’ils construisent des relations amicales, c’est aussi pour cette raison que je suis prêt à faire des Swaps tous les jours pour voir cette cohésion qui se crée entre eux. Bien sûr, « Swap » est avant tout axé sur l’écologie, mais il s’agit également de porter cette cause à travers l’amusement et l’échange.

Cap sur la vallée de Fergana
Malik : Nous n’avions pas l’intention de nous étendre géographiquement, nous pensions rester à Tachkent et éventuellement nous éparpiller un peu plus tard. Pourtant, comme notre partenaire financier est originaire de Fergana, il nous a organisé une soirée là-bas.
Au début, nous étions sceptiques, car nous pensions que le concept ne se transposerait pas si facilement à Fergana.
Plus de 60 personnes sont venues alors que nous en attendions seulement 10 maximum. Si à Tachkent, nous pouvons bénéficier du bouche-à-oreille pour rameuter des personnes lors de nos soirées à Fergana, nous ne connaissions personne. Et pourtant nous avons rencontré un franc succès.
Nous avons été très bien accueillis et logés, sur une semaine de préparatifs. À notre disposition, nous avions un local au deuxième étage du grand centre commercial de la ville, un endroit indispensable pour l’échange.
Un magasin d’outillage nous a aidés en nous fournissant du matériel en location. Le personnel nous a aidés à transporter le matériel et à l’installer à notre étage. À Tachkent, nous aurions été obligés de payer tous les meubles et le matériel.
Logistique et financements : un chemin sinueux
Malik : Après la publication des photographies du Swap du 139 DC, centre d’exposition culturel et artistique à Tashkent, une personne m’a écrit par message privé en ouzbek pour me dire qu’il adhérait complètement à notre concept et qu’il souhaitait nous faire une proposition de sponsor.
Si au départ, nous n’avons pas pris sa requête au sérieux, après analyse minutieuse de son compte, il m’a réécrit un peu plus tard et j’ai enfin décidé de répondre. Une rencontre a été organisée et nous avons conclu un accord. Grâce à lui, nous disposons à présent d’un financement.
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Malik : Environ un mois après le Swap de Fergana, nous avons organisé une soirée à Samarcande. J’ai proposé à nos connaissances de chez Mentalist, centre de formation professionnel situé dans la capitale, d’organiser le projet avec nous en seulement trois jours : ils nous ont fourni le lieu et le matériel.
La location était très bien, il y avait tout ce qu’il fallait, nous n’avions même pas besoin de décorer. Il nous manquait simplement les pendants, qui restaient introuvables partout où on allait dans la ville. Or, Swap ne peut exister sans eux.
Au dernier moment, Micha, de l’équipe de Mentalist est allé dans un marché excentré et, en s’adressant en tadjik à un marchand, a trouvé des pendants à tous petits prix.
Faute de temps pour déployer une véritable stratégie de communication, seulement 40 personnes sont venues. Mais ça a été l’occasion d’organiser de nouvelles animations : ateliers sur les graffitis, présentation sur l’histoire du street art par l’artiste Okta et par Swap.
Un vaste horizon de futurs projets se dessine
Gocha : À l’avenir, nous aspirons à donner plus d’ampleur à notre concept et améliorer notre offre de musique, de conférences et d’ateliers. Cela pourrait se traduire par l’organisation d’un festival écologique Swap avec des ateliers, de la musique, des marques écologiques, à Almaty [capitale économique du sud du Kazakhstan, ndlr]. Mais beaucoup de choses nous attendent déjà à Tachkent et le chantier est vaste. C’est la raison pour laquelle Almaty reste seulement une perspective.
Malik : À présent, nous sommes à la recherche de nouveaux partenaires prêts à soutenir des projets écologiques. J’ai déjà établi une liste de personnes avec qui nous pourrions potentiellement travailler. Il faut simplement que je les contacte pour sonder leur intérêt à collaborer avec nous.
Plus largement, la fibre qui nous accompagnera pour le reste de nos projets, c’est de continuer à sponsoriser les jeunes talents méconnus pour leur donner de la force dans leur projet. Nous aimerions également soutenir, au travers de nos actions, les sans-abris, les familles, les mosquées et les églises qui aident à leur tour des familles.
On est très heureux d’encourager cette culture de la friperie et de la seconde main, en mouvement et qui se développe aux quatre coins du globe.

L’attention particulière portée à l’accessibilité
On nous demande souvent le prix d’accès aux soirées, mais comme notre objectif actuel est de donner la possibilité à tout le monde de venir, l’entrée est toujours libre.
Depuis quelque temps, des personnes un peu plus âgées ont commencé à venir. Ils avaient entendu parler de Swap et ils ont voulu rassembler des vêtements pour nous. Malgré les invitations à rester plus longtemps, ils apportent des vêtements et repartent aussitôt en disant que les soirées ne sont déjà plus de leur âge et que le plus important est de nous soutenir.
Comment trouver un équilibre pour que tous les publics se retrouvent dans une seule et même soirée, sans que le contenu ne devienne un obstacle ou une source d’autocensure ? Élaborer un prisme plus intergénérationnel, c’est aussi une de nos prochaines priorités.
Ce qui serait bien aussi, c’est d’attirer plus d’enfants aux ateliers de dessin, qui commencent à se mettre en place progressivement.
Que deviennent les vêtements non-choisis ?
Malik : Il nous reste toujours beaucoup de vêtements non échangés et pourtant de très bonne qualité. Nous disposons d’un panier qui sert à déposer les vêtements abîmés avec des petites taches et des petits trous.
Nous récoltons tous ces invendus pour les envoyer vers Isssiryk, une recyclerie située à Tachkent. On leur donne une deuxième vie, on les recoud pour les styliser. Les vêtements en bon état sont traités, triés et distribués aux familles dans le besoin ou à des églises.
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À l’avenir, afin de créer notre propre laboratoire, nous aimerions pouvoir louer des locaux équipés de matériels de couture dans lesquels nous pourrions engager des couturiers ou des tailleurs, y compris des débutants. Cela nous permettrait de faire du recyclage en toute indépendance selon nos propres conceptions et schémas.
Yana Modelova
Journaliste pour Hook Report
Traduit du russe par Léna Marin
Édité par Emma Fages
A. Brunet, 2025-04-24
Quelle excellente idée et quel bonheur de découvrir une initiative aussi positive. Les bonnes nouvelles se font rares …
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